Présentation du médecin

Le Docteur Λ est un médecin assez jeune, dynamique et d'un contact agréable. Il a l'air de savoir ce qu'il fait et sa bonhomie inspire totalement confiance. Il exerce principalement dans un cabinet à Clermont-Ferrand, mais également à la Clinique Ø où a été pratiquée la série d'électrochocs sans consentement.

Présentation du patient

  • Jeune homme de 23 ans à l'époque des faits, en 2008, sans emploi.
  • Raison du suivi : dépression majeure résistante.
  • Contexte des faits

    Le patient est hospitalisé à la Clinique Ø entre le 6 août 2006 et le 1er septembre 2008 pour y être pris en charge par le Docteur Λ dans un contexte de syndrome dépressif
    A cette occasion, un traitement par sismothérapie (encore appelé ECT, ou plus communément électrochocs) lui sera proposé.

    Le 7 août 2008, le personnel médical de la clinique remet au patient une fiche de questionnaire médical en vue des ECT.

    Le patient, redoutant un tel traitement, va rayer la mention « reconnait avoir été informé sur le traitement et pour lequel il donne son accord ».
    Malgré cela, l’équipe médicale va mettre en place le traitement, après administration de fortes doses de Valium et Tercian, médicaments à visée apaisante et sédative, qui feront taire les protestations du patient.

    Le traitement, en tout 8 séances, en l’absence de consentement de l'intéressé, est donc réalisé dans l’irrespect de l’article L.1111-4 du Code de la santé publique selon lequel « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

    Le patient, en hospitalisation libre et sans mesure de tutelle, était parfaitement en droit de refuser ce traitement, qui plus est un traitement aussi invasif que la sismothérapie (anesthésie générale et les risques élevés, notamment allergiques, que cela comporte, risques de lésions dentaires, neurologiques(mémoire, capacité d'apprentissage), et traumatiques).

    Début d'un long parcours

    Amnésie

    En 2012, 4 ans après les ECT, le patient souffre d'amnésie traumatique. Il n'a aucun souvenir du traitement ou du refus qu'il avait exprimé. Malgré tout, quelques éléments très diffus provoquent un profond malaise à l'évocation de cette période. Souvenirs trop flous pour y faire quoi que ce soit. Ce n'est qu'en juillet 2013, à l'occasion d'une démarche AAH et de la récupération du dossier médical de la Clinique Ø, qu'il tombe sur ce bas de document, prouvant de façon très claire que les ECT ont été effectués en bafouant ses droits, faute de toute indication contraire dans le reste du dossier médical.

    Période de réflexion

    Le patient est alors toujours suivi, depuis plusieurs années, par le Docteur Λ. Un lien s'est créé, et le jeune homme redoute de confronter le thérapeute sur le sujet. Il sait également que rompre le suivi médical l'obligera à rechercher un autre praticien, et à gâcher de longues heures à lui ré-expliquer, comme à chaque médecin, ce qui l'amène là.
    C'est aussi un risque financier, car l'attribution de l'AAH est liée à un avis médical, et un docteur ne peut pas émettre de certificat avant un délai plus ou moins long, le temps de très bien connaître son patient. Or, ce dernier étant incapable de travailler, l'AAH est sa seule ressource financière.

    Fin mars 2014, il finit tout de même par confronter le médecin, qui nie, parle de contestation systématique et de rupture du contrat de soin par le jeune homme. Il accepte tout de même, au final, de consulter le dossier médical et les éléments du litige.
    Après plusieurs semaines, il accepte de reconnaître son erreur, et présente ses excuses. Il reste silencieux, en revanche, sur les raisons de cette lourde faute médicale.

    Une seconde chance

    Le jeune homme accepte les excuses (bien que la suite et l'absence de repentir viendront les remettre en cause), et poursuit les soins. Une sorte de seconde chance accordée au médecin, mais qui ne sera malheureusement pas saisie :

  • - perte de temps à cause de lacunes en recherches historiques, qui entraînent la prescription de médicaments n'ayant montré aucune efficacité par le passé.
  • - le praticien propose un nouveau traitement à base électrique, la stimulation magnétique trans-crânienne, toujours au sein de la Clinique Ø. Le patient, devenu méfiant, surtout dans ce contexte étonnamment similaire à celui de 2008, accepte mais sous de nombreuses conditions. Le médecin revient finalement sur sa proposition, après consultation d'un collègue, semble-t-il pour des raisons d'efficacité du traitement.
  • - en fin de suivi, durant 5 mois, il ne respecte plus l'obligation de moyen dans le contrat médical. En effet, le patient reste sans aucun traitement chimique, ni solution alternative (groupe de parole, hôpital de jour, TCC,...). Il se contente alors de rendez-vous mensuels, ainsi que d'une lente et sommaire recherche de quelques pistes thérapeutiques, sans jamais proposer de projet viable et concret.
  • Aucune perspective médicale n'était donc plus possible dans ce contexte.

    Procédure pénale et civile

    Inutilité de la procédure pénale

    Les électrochocs ayant été réalisés en 2008, en 2014 le délai de prescription pour une accusation pour abus médicaux était largement dépassé. Mais un dépôt de plainte était, d'après la documentation, nécessaire pour lancer la procédure civile et obtenir l'aide juridictionnelle.

    L'agent de police a refusé de recevoir la plainte, au motif que les actes médicaux étaient exclus des procédures pénales. Selon la loi les policiers ne peuvent pourtant refuser un dépôt de plainte. A défaut, cette dernière a donc été faite directement à la Cité Judiciaire, à l'intention du Procureur, contre la clinique Ø.

    Cinq mois plus tard, le 4 juin 2015 la Réponse du Procureur pourra tenir en une simple ligne : "Les faits dont vous vous êtes plaint ne sont pas punis par la loi." (prescription, et ITT inférieure à 8 jours).

    Il apparait au final que cette obligation de plainte préalable, inscrite sur le formulaire de demande d'aide juridictionnelle, n'en était pas une, aux dires de l'avocat contacté.

    Procédure civile

    En 2015, une loi a rendu obligatoire une démarche à l'amiable avant assignation devant la cour. Cette recherche d'accord amiable a duré 1 an, en comptant les délais d'acheminement des courriers, les délais de réponse et les renvois de responsabilité des différentes parties.

  • - 23 juin 2015 : dépôt de la demande d'aide juridictionnelle
  • - 8 juillet 2015 : acceptation de la demande d'aide juridictionnelle totale
  • - 31 juillet 2015 : demande d'indemnité préalable pour la Clinique Ø
  • - 31 août 2015 : toujours aucune réponse de la part de la Clinique Ø
  • - 9 septembre 2015 : préparation du projet d'assignation
  • - 15 septembre 2015 : envoi de l'assignation
  • - 25 octobre 2015 : la Clinique Ø réagit enfin et annonce que le dossier est transmis à l'assureur, et est en cours d'instruction
  • - 10 décembre 2015 : Réponse de l'assurance de la Clinique. Le Docteur Λ exerçait à titre libéral au sein de la clinique, ce qui les dégage de toute responsabilité.
  • - 18 février 2016 (après les congés de Noël) : début de la procédure concernant spécifiquement le Dr Λ, envoi de la demande indemnitaire à l'assurance personnelle du médecin
  • - 7 mars 2016 : le courrier est réceptionné par l'assurance
  • - 4 juillet 2016 : enfin une réponse de l'assureur, qui ne se prononce pas et souhaite temporiser encore avec un demande d'expertise médicale
  • - 11 juillet 2016 : courrier de refus de l'expertise médicale après consultation de l'avocat
  • - 16 août 2016 : courrier de l'assureur qui refuse l'accord amiable
  • - 28 août 2016 : rédaction et envoi de l'assignation pour le 21 septembre
  • - 19 septembre 2016 : l'adversaire n'étant plus la Clinique Ø, mais le Docteur Λ, il faut faire une demande de modification du dossier d'aide juridictionnelle. Le bureau tarde à répondre, ce qui repousse l'audience
  • - 14 octobre 2016 : le dossier sera finalement appelé à l'audience du 8 novembre
  • - 8 novembre 2016 : jour de l'audience. Le médecin n'est pas présent, et ni lui ni son assureur ne sont représentés par un avocat. Aucune pièce n'a été fournie par la partie adverse. L'avocat du patient est absent lui aussi :-), mais aura tout de même pris soin de demander à un confrère de le remplacer au pied-levé.
  • - 26 décembre 2016 : réponse du Tribunal, qui reconnaît responsable le Dr Λ et le condamne à payer 3839 euros (2735 €, nets des frais d'avocats)
  • Copie du jugement ci-dessous :

    Extrait :

    "Attendu que l'article L. 1111-4 du code de la santé public impose au praticien de recueillir le consentement libre et éclairé du patient avant de pratiquer un acte médical ou d'administrer un traitement ;

    Attendu que le questionnaire médical rempli le 7 août 2008 par M. Ŋ comporte un raturage sur la formule indiquant qu'il a été informé du traitement litigieux et qu'il y donne son consentement ainsi que l'ajout de la mention "réserve" ; Que ces deux éléments sont sans ambiguïtés sur l'absence de consentement du patient ; Qu'il appartenait donc au Dr Λ, en application du texte précité, soit de procéder à une nouvelle information préalable avec recueil d'un consentement clairement exprimé, soit de ne pas procéder aux soins envisagés pour lesquels M. Ŋ n'avait pas consenti ;

    Attendu que ce manquement aux obligations légales du praticien constitue pour le Dr Λ une faute ouvrant droit à réparation du préjudice causé ;

    Attendu qu'à cet égard, le passage outre son consentement a nécessairement causé à M. Ŋ un préjudice moral, accentué par son état psychique fragilisé;

    [...]

    Qu'au vu de ces éléments, le préjudice subi par M. Ŋ sera exactement réparé par l'allocation d'une somme de 3.000 €; "

  • - (eh non, pas fini ^^) 16 janvier 2017 : signification du jugement par l'huissier effectuée
  • - 30 janvier 2017 : second original de l'huissier enfin reçu par l'avocat, ce qui fait courir le délai d'un mois d'appel
  • - 27 février 2017 : réception du chèque par l'avocat, qui doit passer par le compte CARPA, prévision d'un délai d'un mois
  • - 29 mars 2017 : le jeune homme est finalement indemnisé
  • - Le Dr Λ s'est plaint par la suite que "à cause d'une série d'erreurs de communication, il n'avait pas pu se défendre". Mais du fait de l'absence des avocats, l'affaire a été jugée sur la seule base du dossier. Le médecin avait tout le temps de fournir des preuves contraires durant l'ensemble de la procédure (soit 245 jours), ce qu'il n'a pas fait, pas plus qu'il n'a fait appel de la décision.

  • Procédure devant le Conseil de l'Ordre

    Afin de forcer une confrontation avec le médecin et obtenir un positionnement du Conseil de l'Ordre qui jusque là était resté muet, une séance de conciliation a été demandée le 17 avril 2018.

    Cette confrontation a permis au médecin de s'expliquer auprès de son patient. Le Conseil et le médecin ont reconnu l'existence d'un problème de communication au sein de la clinique, qui aurait amené à ce non respect de l'absence de consentement aux soins. Le docteur Λ n'a pas reconnu sa responsabilité, et a repoussé celle-ci sur le reste de l'équipe soignante, de la même façon que la clinique avait rejeté la responsabilité sur le médecin exerçant à titre libéral.

    Le docteur estime tout de même que cette faute lui a été profitable, et qu'elle l'incite à plus de prudence dans le recueil de consentement des patients. Le fait de ne plus considérer ce consentement comme systématique, et appliquer dorénavant l'article 36 du code de déontologie, est assez positif. Il serait bien sûr idéal que ces excuses et cette apparente remise en question ne soient pas hypocrites.

    Le médecin tentera de s'expliquer sur son absence au tribunal et la raison pour laquelle il n'a fourni aucun document pour sa défense : il n'était au courant ni de la procédure de médiation engagée avec son assureur, ni de la procédure civile pour laquelle il a reçu une assignation un mois avant l'audience. Explication floue et moyennement crédible :-)

    La séance de conciliation s'est soldée par un abandon de la plainte, le patient se satisfaisant des excuses (sincères ou non) du praticien, qui reconnait humblement ses diverses erreurs, devant le regard de ses pairs et par écrit.



    Dans cette affaire, il reste deux hypothèses probables :

    1) Il peut s'agir d'un abus d'autorité médicale et d'une violation de droit délibérée, toujours présente en psychiatrie "moderne" où le patient est rarement consulté comme il le devrait, considéré comme un grand enfant, naïf et incapable;

    2) Ou bien du non-suivi des procédures de traitement, du code déontologique, et d'absence d'écoute du patient, qui avait clairement exprimé son refus, à l'écrit et à l'oral. Ce serait aussi une faute grave dans ce cas, puisque le praticien doit rechercher l'accord de son patient, et jamais le considérer comme acquis.

    Le docteur Λ parait s'inscrire dans la seconde hypothèse, qui lui est évidement plus favorable. Il reconnaît une erreur, qui serait partiellement de sa faute. Ce dernier ne semble pas avoir saisi, tristement, l'ampleur des responsabilités qui accompagnent l'exercice de la médecine à titre libéral au sein d'une clinique privée.
    Un capitaine de navire porte la responsabilité des actes de ses matelots, de même qu'un médecin est responsable des actes effectués par des membres de l'équipe médicale qui appliquent ses directives.

    Enfin, pour ce qui est de la procédure légale, bon courage à ceux qui l'entreprennent, vous aurez compris que même pour une affaire très simple, où les preuves sont évidentes et que l'adversaire ne se défend pas ou mal, c'est long. Mais ça vaut le coup, pour la reconnaissance officielle des tords causés.

    Le Dr Λ a déposé plainte pour diffamation sur la base ce texte. Bien que la plainte ait été classée sans suite (infraction insuffisamment caractérisée), et que j'aie déposé plainte à mon tour pour dénonciation calomnieuse, cet article, dans cette version du 14/02/2018, a été prudemment ΛŊØnymisé et tronqué par rapport à la première version du 24/03/2017, son seul but étant informatif : donner un exemple des dérives toujours présentes dans le milieu psychiatrique, et une idée des difficultés rencontrées à obtenir des explications sur une faute professionnelle avérée.
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